À l'occasion de Marseille Province 2013, la Galerie Voies Off présente une exposition dédiée aux oeuvres du photographe d'origine chinoise Hai Zhang. Don't Follow Me, I'm Lost (Ne me suivez pas, je suis perdue) documente
le rythme effréné de la société chinoise contemporaine, et souligne la
perde de repères des Chinois, qu'il soient riches ou pauvres. Depuis
2008, Hai Zhang s'attache à présenter l'évolution du paysage urbain de
son pays, et se concentre également sur un projet à long terme aux
États-Unis, To Kill A Mockingbird (Quand meurt le rossignol). L'exposition fait partie du projet Rester Partir, le voyage impossible, développé
par Voies Off et coproduit par Marseille-Province 2013, en
collaboration avec des structures serbes, turques et égyptiennes.
Aujourd’hui, se promener dans
les villes chinoises est magique. Le taux métabolique accéléré de leur
développement a transformé les villes chinoises en de vastes collages de
fragments rapidement accumulés au cours des dernières décennies. En
tant que photographe, il m’est devenu impossible de photographier la
Chine contemporaine sans en capturer les contrastes. Mais qu’est-ce que
cela signifie vraiment ?
L’apparent contraste dans une
même photographie d’une maison isolée au milieu des décombres d’autres
et de l’ombre portée d’un gratte-ciel ne peuvent renseigner sur le fait
que le propriétaire de l’immeuble a bénéficié de plusieurs millions de
dollars de compensation pour la démolition dont témoigne les décombres,
et que ce même propriétaire, une fois l’argent versé a prestement
déménagé à Hong Kong. Les populations que ses actes ont rendues sans
abri sont essentiellement constituées de travailleurs migrants qui ne
pouvaient payer que le loyer d’une chambre dans un des bâtiments
maintenant démolis.
La foule des rendus sans
logis fut dispersée par les forces de police. Certains s’essayèrent au
marché noir des billets de train qu’ils revendaient avec marge. Alors
qu’ils étaient à nouveau réprimés par la police, tout le monde oubliait
que c’étaient ces mêmes travailleurs migrants qui venaient de perdre
leurs emplois dans une proche usine. La pauvre chambre exigüe au lit de
fortune pouvait sembler totalement insalubre, mais en fait elle
constituait le dernier refuge des enfants des travailleurs rendus à
présent sans travail et sans emploi. Un mois après que j’eus pris une
photographie d’une de ces familles de cinq, elle avait emménagé dans une
chambre de vingt mètres carrés qui ne pouvait abriter qu’un seul lit
partagé par tous.
La photographie apparaît
inadéquate à rendre compte de la complexité de tels faits. M’est-il
possible de saisir une définition, le sens de la réalité chinoise
contemporaine à travers une tentative de catalogage de portraits de ma
propre société ? Au-delà de son aspect de documentaire, de preuve
visuelle, la photographie ne devrait-elle pas se contenter de soulever
des questions, plus de questions, au lieu d’essayer de donner des
réponses ? Cela constitue-t-il une ambition impossible à réaliser ?
Au détour des images que j’ai
prises jusqu’à présent, j’ai peur de réaliser que je me débats au
milieu d’illusions et de fantasmes. Ainsi donc je dois poursuivre mon
voyage, aller plus profondément, plus loin, jusqu’à ce que je me
retrouve complètement perdu. L’agent de sécurité assis au pied d’un mur
en ruine, et qui se détourne de mon objectif, a l’air tout aussi
vulnérable qu’un enfant, que l’enfant qui court tout en me regardant
intensément dans les yeux. Qui est plus fragile ? Pourquoi est-ce que
l’horizon sublime des gratte-ciels vu de ma chambre d’hôtel cinq étoiles
ne m’émeut pas plus que cette maison isolée dans les décombres ?
Une foule en prière dans un
monastère bouddhiste au matin du Nouvel An chinois constitue sans doute
le seul mouvement de masse spontané autorisé en Chine. Dans le contexte
d’une croissance inégalée du consumérisme en Chine, sommes-nous devenus
plus en quête de spiritualité, où sommes-nous simplement rendus plus
anxieux par l’idée d’un futur que nous sommes apparemment incapables de
prédire ?
Par un chaud après-midi
d’été, je suis entré dans une maison luxueuse. Une jeune femme
étonnamment belle se tenait devant une fenêtre contemplant l’océan. Elle
tourna la tête et me regarda longuement. Le silence était total. Je
l’ai entendue distinctement prononcer ces mots : « Ne me suivez-pas, je
suis perdue. » Dans ses yeux j’ai lu le même regard perdu que j’avais
rencontré d’innombrables fois durant les quatre années de mon périple
photographique.
Hai Zhang, 13 décembre 2012
[Traduction © Bruno Chalifour, 2012]
Exposition, du 13 Janvier 2013 au 3 Mars 2013.
Voies OFF
26 ter rue Raspail,
13200 Arles
tél : +33-0 490 969 382
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