Quatorze jeunes photographes et
autant de regards sensibles sur le monde, dans un haut-lieu de la
culture française : l'exposition de la Bourse du Talent, qui vient de
s'installer pour la sixième fois à la Bibliothèque nationale de France,
confirme encore cette année son statut d'événement majeur du monde de la
photographie.
Le vernissage de
l'exposition, qui s'est tenu jeudi dernier, a attiré près de 500
photographes, journalistes, experts, institutionnels, dont Daniel Barroy (Chef de la mission de la photo au Ministère de la culture), Jean-Pierre
Bourgeois (Directeur du Salon de la Photo), Frédérique Founès (Agence
Signatures) ou le célèbre photo-journaliste Éric Bouvet. Selon le Président de la BnF Bruno
Racine, également présent au vernissage, cette exposition annuelle
témoigne des recherches des photographes émergents, et "de l'originalité
de leurs points de vue. Qu’ils empruntent les chemins de leurs grands
prédécesseurs, qu’ils inventent de nouveaux moyens d’interroger le
médium, tous font œuvre, tous examinent l’état du monde. Le besoin de
témoigner appelle de nouveaux moyens. Il leur inspire de forger un
vocabulaire plastique personnel, lié ou non aux nouvelles techniques."
Fidèle à son engagement en
faveur des nouvelles expressions photographiques, la Bourse du Talent
2012 se remarque par la diversité et l'originalité des points de vue
proposés. Cette année, une large rétrospective est consacrée à Rémi
Ochlik (tué en Syrie en février dernier), de sa première expérience en
zone de conflit, en Haïti après la chute du président Jean-Bertrand
Aristide en 2004, aux révolutions du Printemps arabe, en passant par les
reportages réalisés en France. "La qualité de son regard et son
intelligence des situations se montre à plein dans les images
présentées à la fois en hommage et en préface," écrit Bruno Racine dans
le texte de présentation de l'exposition. "De ses écrits nous
retiendrons la conscience du danger, la sensation de la peur et le souci
de la surmonter, force caractéristique des grands reporters que furent
Robert Capa et Gilles Caron."
Vasantha Yogananthan, lauréat de la Bourse du Talent Espace pour sa série Piémanson, met en évidence la vie paisible des habitués de la dernière plage non-réglementée d'Europe. Dans sa série Barbapapa, Isabelle
Chapuis, lauréate de la Bourse du Talent Mode, met en scène des
délicieuses expérimentations plastiques autour du célèbre produit de
confiserie. Les lauréats de la deuxième édition chinoise de la Bourse du
Talent, Bu Gacise, Li Xinzhao et Wei Bi nous proposent un voyage dans
la Chine profonde, sur les traces des minorités Yi ou Tadjik.
Joan Bardeletti, lauréat de
la Bourse du Talent Reportage, présente les tentatives d'intégration en
Italie d'un groupe de migrants africains venus de Libye, et explore les
frontières du photo-journalisme. Dans une interview
réalisée en avril dernier, Joan Bardeletti souligne la tradition
d'ouverture de la Bourse aux expérimentations photographiques : "J'ai
essuyé quelques refus de la presse sur la série Black Snow et
des remarques quelques fois très négatives à propos de l'approche que
j'avais choisie. Je pensais et reste toujours persuadé que c'était la
meilleure façon de traiter le sujet, mais le doute s'installait. (…)
Est-ce que ma conviction allait être partagée par d'autres ? Est-ce que
ce travail allait remporter l'adhésion ? Comment la transgression des
codes usuels du photojournalisme allait être reçu ? Gagner la 49e
édition de la Bourse est une splendide réponse à ces questions !"
Thomas Sanchez, lauréat de la Bourse du Talent Portrait pour sa série Sueños compartidos,
partage cette opinion. Venu d'Argentine -où il s'est installé il y a
quelques années- pour assister au vernissage, le photographe s'est
déclaré "surpris de découvrir que la Bourse du Talent choisit des gens
qui vont plus loin, qui sont différents, qui montrent autre chose. Nous
faisons tous partie de la même génération et de la même culture, mais la
Bourse réussit à éviter les codes figés de ce qui se fait en ce moment
en photographie." Selon Vasantha Yogananthan, ce qui "caractérise la
Bourse du Talent, c'est le panorama qu'elle donne de la création
contemporaine. On peut y lire plusieurs tendances, celle du
décloisonnement des genres et des pratiques par exemple. Que
considère-t-on comme du portrait, comme du paysage ?"
Les travaux des quatorze
lauréats, mentions spéciales et coups de coeur, resteront visibles le
long de l'allée Julien Cain jusqu'au 17 février 2013. Ce sera
l'occasion, pour le public très divers de la BnF, de non seulement
découvrir les représentants de la nouvelle création photographique, mais
aussi de réfléchir à leur propre rapport à l'image, et aux enjeux liés à
l'avenir de celle-ci. Car, comme le souligne Didier de Faÿs, tous ces
travaux "sont à leur manière une proposition politique ancrée sur notre
planète et sur notre début de XXIème siècle. Pourquoi ces prises de
risques ? Pourquoi vouloir réaliser des prises de vues alors que l'on
sait qu'elles ne seront pas publiées ? La presse qui se débat pour
survivre, a depuis fort longtemps oublié son compagnon de route, la
photographie. (…) On demande aux photo-reporters de mettre leur talent
et leurs regards au service de la communication d'entreprise, et il
semble que la demande réduit de plus en plus tout espoir d'alternative.
Il faut du courage à un jeune photographe pour envisager de réaliser une
carrière libre."
Roxana Traista
20/12/2012
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