De Bamako à Lagos, de Johannesburg à Khartoum les initiatives se
multiplient et dynamisent la scène photographique africaine.
Photographes, collectifs et structures informelles, forts de leur succès
récent et enhardis par la conviction que l'artiste africain a son mot à
dire, s'appuient moins sur les institutions locales (toujours faibles)
ou internationales (toujours lointaines) que sur leur propre volonté de
s'exprimer et de faire avancer leur art. C'est l'heure du
trans-africanisme, qui par ses efforts de briser les frontières et
encourager les échanges culturels, promeut une photographie d'origine
contrôlée. Une photographie africaine par les Africains.
Fondé par le photographe nigérian Emeka Okereke, le Invisible Borders Project (Projet des Frontières Invisibles) a comme objectif de renforcer les échanges culturels, et d'asseoir la photographie africaine sur le socle d'une Afrique libérée des frontières sociales, économiques ou politiques. "Invisible Borders est une cause, un mouvement, une idée qui est en train de devenir plus importante que le projet lui-même," explique Emeka Okereke. "Il est basé sur ce que j'appelle le trans-africanisme, une sorte d'échange entre des personnes qui essaient de résoudre les mêmes problèmes, et qui partagent, à travers des productions artistiques diverses, leurs réalités intimes."
Ce projet qui prend la forme d'un road trip éducatif et qui réunit chaque année une dizaine de photographes africains d'origines différentes, vise à provoquer le dialogue social et artistique et à encourager l'émergence photographique (les projets réalisés dans le cadre d'Invisible Borders sont visibles à l'adresse : http://invisible-borders.com/). "Notre objectif est d'aider les jeunes photographes à construire leur projet, et atteindre leur potentiel," précise Emeka Okereke. "C'est la raison pour laquelle Invisible Borders invite des commissaires et des photographes professionnels, qui sont capables d'analyser les projets présentés et donner du courage aux plus jeunes."
Unique dans son genre, le projet d'Emeka Okereke fait partie de ce que beaucoup espèrent être un véritable printemps de la photographie africaine. Même si la Biennale de Bamako reste le plus grand événement photographique du continent, "on retrouve des poches d'énergie partout en Afrique," déclare Emeka. "Il est vrai que les institutions et le gouvernement ne nous soutiennent pas assez, mais les artistes, les workshops et un très beau réseau d'éducation informelle donnent naissance à des projets extraordinaires. (…) Je ne pense pas que nous devrions attendre que les institutions fassent plus de choses pour nous, je pense que nous devrions continuer à travailler de la même manière que jusqu'à présent."
John Fleetwood, directeur du célèbre Market Photo Workshop
basé à Johannesbourg en Afrique du Sud, soutient l'idée d'une
photographie réalisée par ceux qui sont directement confrontés à la
réalité africaine. Ses élèves, originaires de l'ensemble du continent
africain, sont encouragés à explorer des problématiques qui leur sont
familières, comme la migration, la santé, la liberté ou la pauvreté.
Ainsi Nontsikelelo Veleko et son travail sur la façon dont les jeunes
sud-africains expriment leur identité à travers leur façon de
s'habiller, ou Zanele Muholi, qui utilise la photographie pour défendre
les droits des homosexuels dans la société sud-africaine.
Même si le progrès réalisé
ces dernières années en termes d'expression photographique est
indéniable, "on aurait tort de penser que la photo africaine puisse être
autosuffisante," constate John Fleetwood. "Le déséquilibre entre les
pays développées et ceux en cours de développement est tel, que l'idée
d'une photographie africaine autonome reste aujourd'hui une utopie. Nous
avons toujours besoin du soutien international : même la Biennale de
Bamako est fragile et dépendante de ce soutien." L'affranchissement de
la photographie africaine aura encore besoin de quelques années, mais le
processus est dorénavant irréversible.
Roxana Traista
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