Regarde-moi,
maman ! Je danse ! Ne sois pas méchante ! Le travail n’est pas un
lièvre. Je vais, je vais aller ! Là-bas, devant l’hôpital, les gens
arrêtent de me voir et me donnent de l’argent. Je pense que ce n’est pas
comme la mendicité dans les grands magasins. Mendier dans l’hôpital me
plaît. Voilà ce que j’aime. Sinon, les gens ne me regardent pas dans les
yeux, en me jetant une pièce de monnaie. Peut-être c’est à cause de la
honte que je sois pincée par le froid, et ceux qui sont en face de moi
paient parce qu’ils se sont rendus coupables, tandis que la femme, à
laquelle j’ai parlé hier, était malade, je l’ai vue. Elle sentait bon,
j’ai ressenti l’humidité de ses cheveux qui étaient encore mouillés par
la douche, mais du fond d’elle-même sourdait une odeur mauvaise,
maladive. Peut-être que c’est pour cela que les gens s’arrêtent à côté
de moi, surtout ceux qui sont malades, qu’ ils pensent que le Dieu du
tableau est derrière moi et va les guérir s’ils me donnent un sou ou un
billet.
Mais je me demande comment ce serait possible, grand-mère,
qu’une représentation de Dieu puisse guérir. Les riches sont stupides,
grand-mère. Cette femme, je lui ai dit que tu connais tout sur les
herbes, et sur sa maladie, mais elle ne m’a pas cru. J’ai regardé sa
main et j’ai vu que sa ligne de vie, que tu m’as appris à reconnaître,
était devenue fine et incurvée, en rigoles, mais elle atteint quand même
ce lieu où bat le cœur. L’herbe de la ravine, elle seule peut rendre le
fleuve de sa ligne profonde, mais la femme ne me croyait pas,
grand-mère. Elle pensait que je disais ça pour de l’argent… pas pour
l’aider. Et pourquoi pas pour de l’argent ? Après tout, quand quelqu’un
travaille pour nous aider, on doit payer pour son travail. Mais cette
femme ne croit pas que l’herbe soit connue, juste par toi et moi. J’ ai
vu son autre ligne, celle de son cœur. Un homme se trouvait là, un
homme, grand-mère, qui anéantissait sa force. Elle a ri et son visage
s’est couvert de rides quand je lui ai dit qu’elle devait échapper à cet
ennemi, ce vrai vampire qui était assis sur elle, et éteignait sa
flamme. Bon, je vais aller, grand-mère. J’espère la rencontrer encore,
lui donner de l’herbe. Je ne vais pas prendre son argent, pour qu’elle
ait foi en moi. Elle m’a dit que j’étais belle. C’est quoi d’être belle,
grand-mère ? Milan me regarde avec un œil gourmand. Quand je sors
dehors pour étendre le linge, il est toujours là, comme une plante
devant moi. Cela me fait rire. Il me dit qu’il va me voler, ou voler un
cheval pour m’acheter à mon père. Et je ris, mais de ce rire naît
quelque chose de chaud qui commence à bouger dans mon estomac. C’est ce
qu’on dit que d’être belle, grand-mère, je le sais déjà, car je coûte
environ un cheval ! Pauvre femme de l’hôpital. Elle était belle, mais
personne ne va payer même un chevreau pour elle ! Bon, grand-mère, je
vais aller et dis à Milan que papa ne me donnera pas à lui, même pour
deux chevaux !samedi 5 janvier 2013
C’est quoi d’être belle, grand-mère ? / Sur une photographie de Sanja Knežević
Libellés : Photographie, Sanja Knežević, Uprooted community
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire