mercredi 26 décembre 2012

Errances

Cette exposition, qui réunit les travaux photographiques et les installations vidéo de Franck Gérard, Rune Guneriussen, Eponine Momenceau, Jean-Claude Pondevie, Géraldine Py et Roberto Verde, et le Collectif Bellavieza, interroge le thème de l'"errance" et cherche à définir l'état spécifique que cette notion implique.  
J’ai été invité à réfléchir pour cette exposition sur la notion d’errance par Mélanie Rio. De facto, ce concept est inhérent à mon travail que ce soit dans ma pratique « libre » ou celle, plus contrainte, de la commande. J’ai toujours suivi ma propre voie, emprunté mes propres chemins, même dans la vie. Une vision plus extrême dirait que nous sommes, en quelque sorte, tous condamnés à errer sur terre tout au long de notre vie, un peu à la manière du légendaire « Juif errant », qui ne peut perdre la vie car il a perdu la mort ou encore du « Chevalier errant ».
Mais l’errance pourrait être aussi bien celle du chien ou de n’importe quel animal domestique ; pour moi, elle est avant tout mentale, comme pourrait la définir Raymond Depardon dans son livre si bien nommé, ou encore davantage Fernando Pessoa dans le Livre de l’intranquillité, un de mes livres de chevet Je suis un « boulimique du regard », toujours, depuis plus de treize ans aujourd’hui, accompagné d’un appareil photo.
J’ai donc produit un nombre élevé d’images qui sont rassemblées sous le titre En l’état, 13 juillet 1999-Aujourd’hui. Ce travail, je l’ai fabriqué au quotidien, dans un souci délibéré de montrer « ce que je vois », simplement mais aussi méthodologiquement. J’ai sans cesse, dans ce corpus, réfléchi à l’errance, car les voies que nous empruntons sont régulièrement définies (Aller à l’école, faire des courses..), opposées à la notion de « promenade », mais j’ai fini par intégrer ce concept dans ma vie de tous les jours dans le sens où je ne suis jamais à l’abri, lorsque je suis sur ces routes, d’une dérive ; tourner à droite plutôt qu’à gauche, par exemple, car comme tout le monde la seule forme d’objectivité est la mienne, que je ne peux imposer à personne ; je suis toujours dans cet état d’être entre l’intérieur
(la pensée) et l’extérieur (les sens) qui nous oblige à cette lecture du monde.
Cet état est donc relié à une forme de stase mentale, on a beau bouger, errer, l’esprit reste où il est, « géographiquement parlant », même s’il peut justement « vagabonder », se laisser aller,  et c’est le corps qui nous impose le mouvement, le déplacement.
On pourrait dire que l’errance est donc liée au choix ou au non-choix de se mouvoir, ou autre chose car à vrai dire, définir cette idée métaphysique m’impose d’errer en moi mais aussi dans ce texte que j’écris à l’instant ; se perdre dans ses idées est très agréable, mais en psychiatrie la notion d’errance est liée à l’idée de ne plus pouvoir s’accrocher à ses pensées, d’errer dans son propre esprit.
Est-ce que je pourrais dire que tout est hasard, sans but ? Que nous errons ? Non, bien sûr, mais je vous répondrais qu’il me semble parfois essentiel de laisser entrer ces notions dans sa vie, de quitter les sentiers balisés de la pensée, de parfois, faire fausse route volontairement. (…)
J’ai inventé mes propres itinéraires poétiques à l’instar de la psychogéographie.
J’ai erré dans les bois, la montagne et les villes.
Franck Gérard
20/12/2012

Lire la suite

Tribune

La photographie en Afrique suscite toutes les passions du monde, mais malgré le succès de ses portraitistes maliens elle peine a exister même. Quelle odeur, quelle couleur a t-elle ? On dit que la création artistique n’existe pas sur le continent, mais exportée en occident. Son marché local n’existe pratiquement pas! Seuls les tirages des portraitistes maliens ont une cote encore très faible par rapport à celle des européens, Américains ou Chinois. Il n’y a pas de galerie pour défendre les artistes sur le continent à l’exception de l’Afrique du Sud et du Maroc.
Le visage de la photographie en Afrique est bien embrouillé. Invisible. Comment dresser son portrait s’il y a des régions ignorée? Françoise Huguier s’interroge sur l’absence depuis Bamako de la photographie, couvrant tout ce qui se passe dans le continent.« il y a des endroits en Afrique où personne ne va comme la Tanzanie, Burundi, rwanda. en Ouganda, il y a une scène artistique très importante, personne ne le sait ! » le portrait est à charge. il est de photographiquement accepté de montrer les désastres écologiques causé en Afrique par les occidentaux. « C ‘est vrai, mais il y a aussi des dirigeants africains qui acceptent cette situation. eux aussi pourraient réagir. C’est de l’auto-flagellation qui ne sert à rien. »
La prise de vue occidentale est mise en cause par la photographe à l’origine de la Biennale :« À chaque fois qu’il y a un événement sur l’Afrique, ce sont des occidentaux qui le font. C’est un colonialisme culturel. Pourquoi à Bamako,n’y a t-il toujours pas de directeur artistique malien?».
La crise d’identité est donc grave. En 2009 à Johanesburg, Lulu Xingwana le ministre Sud-Africain de la culture a quitté furieux l’exposition « innovative Women » de Zanele Muholi en qualifiant son travail d’immoral et de dangereux pour la cohésion du pays! Lors de la cérémonie d’inauguration des rencontres de Bamako, le ministre de la culture Hamane Niang a refusé de photographier Malik Sidibé contrairement au protocole prévu et préférant photographier le ministrefrançaisdelaculture ! Pour Freddy Denaeys qui a consacré un livre au grand portraitiste : « il s’agit d’indifférence pour les photographes. C’est aujourd’hui un des plus grand photographe malien reconnu sur la scène internationale. le Mali va t-il attendre qu’il meure pour dire que c’était un grand. »
Qui a peur de la photographie? « Dans ce qui est montré il y a une sélection, constate le chercheur Vincent Godeau, sans prendre de risques, parce que l’image du réelle elle est dangereuse et menaçante. » Freddy Denaeys confirme que beaucoup d’artistes disent qu'on les cantonne et leur demande de rester dans leurs champs d’action, mais de ne pas avoir d’action politique avec leur image. « Donc c’est possible qu’il y ait effectivement des craintes, qu’on veuille maintenir la photo un peu à l’écart, pour ne pas donner trop de pouvoir à l’image qu’on ne contrôlerai pas ». Longtemps après que les masques africains aient été détruits ou rangés dans les musées occidentaux, cela nous donnerait à voir le travail de la jeune Fatoumata Diabaté avec espoir. Une reprise en main de l’identité Africaine. La dignité dont nous parle Agnès B.
Didier de Faÿs

Lire la suite

Signe des temps : Le trans-africanisme, moteur de la photographie africaine

De Bamako à Lagos, de Johannesburg à Khartoum les initiatives se multiplient et dynamisent la scène photographique africaine. Photographes, collectifs et structures informelles, forts de leur succès récent et enhardis par la conviction que l'artiste africain a son mot à dire, s'appuient moins sur les institutions locales (toujours faibles) ou internationales (toujours lointaines) que sur leur propre volonté de s'exprimer et de faire avancer leur art. C'est l'heure du trans-africanisme, qui par ses efforts de briser les frontières et encourager les échanges culturels, promeut une photographie d'origine contrôlée. Une photographie africaine par les Africains. 

Fondé par le photographe nigérian Emeka Okereke, le Invisible Borders Project (Projet des Frontières Invisibles) a comme objectif de renforcer les échanges culturels, et d'asseoir la photographie africaine sur le socle d'une Afrique libérée des frontières sociales, économiques ou politiques. "Invisible Borders est une cause, un mouvement, une idée qui est en train de devenir plus importante que le projet lui-même," explique Emeka Okereke. "Il est basé sur ce que j'appelle le trans-africanisme, une sorte d'échange entre des personnes qui essaient de résoudre les mêmes problèmes, et qui partagent, à travers des productions artistiques diverses, leurs réalités intimes." 
Lire la suite

mardi 25 décembre 2012

L’Amérique de la Grande Dépression à la Seconde Guerre mondiale en Noir et blanc


En 1935, le gouvernement américain mandate de très nombreux photographes pour documenter cette période de l’histoire des USA. Aujourd’hui la Bibliothèque du congrès met gratuitement à la disposition du public plus de 16 000 de ses photographies.
Les photographies en noir et blanc de la Farm Security Administration - Bureau de la collecte de l’information de guerre sont un point de repère dans l’histoire de la photographie documentaire. Les images montrent des américains à la maison, au travail et dans les loisirs, en mettant l’accent sur la vie rurale, les petites villes et les effets néfastes de la Grande Dépression, et de la mécanisation de l’agriculture.
Certaines des images les plus célèbres représentent des personnes qui ont été déplacées dans les fermes ou ont migré vers l’ouest ou vers les villes industrielles en quête de travail.
Dans ses dernières années, le projet a documenté la mobilisation de l’Amérique pour la Seconde Guerre mondiale.
On peut les voir toutes ici ::http://memory.loc.gov/ammem/fsahtml...




















Lire la suite

dimanche 23 décembre 2012

Grand Prix Paris Match du Photoreportage Étudiant : appel à candidature

Pour la dixième année consécutive, Paris Match donne l'opportunité à tous les étudiants de réaliser un photoreportage "à la manière d'un grand reporter de Paris Match", et de remporter le Grand Prix Paris Match du Photoreportage Étudiant. Le / la lauréat(e) remportera une dotation de 5 000 euros, et son reportage sera publié dans les pages du magazine. 
À l'occasion de la 10e édition du Grand Prix Paris Match du Photoreportage Étudiant, vous invite à "mettre en image des moments insolites et des tranches de vie, en réalisant un photoreportage (de cinq à dix photos) à la manière d'un grand reporter de Paris Match," annoncent les organisateurs dans un communiqué. 
À la clé, de nombreuses dotations dont 5 000 euros pour le grand gagnant, la publication de son photoreportage dans le magazine Paris Match, ainsi que deux appareils photos numériques. Trois autres lauréats sont également récompensés par le Prix Puressentiel Nature et Environnement, le Prix du Public et le coup de cœur du JDD. Afin de célébrer les dix ans du Grand Prix  des voyages sont également à gagner pour les trois premiers lauréats !
L’inscription au concours est gratuite et peut s’effectuer soit sur le site internet http://www.parismatch.com/Grand-Prix-Photo-Reportage/2013/ soit par voie postale, dès à présent et jusqu’au 15 mars 2012.
Pour plus d’infos et pour toutes questions, rendez-vous sur la page Facebook du Grand Prix : http://www.facebook.com/#!/group.php?gid=312037549429&v=info.
Affiche du Grand Prix Paris Match 2013(Télécharger)

Lire la suite

Harry Gruyaert. Retour aux racines

Après "Made in Belgium", Harry Gruyaert, membre de l'Agence Magnum depuis 1981, publie son deuxième ouvrage sur la Belgique aux éditions Xavier Barral. Imprégné du caractère pictural qui définit l'ensemble de l'oeuvre du photographe belge, "Roots" ("Racines") est l'histoire d'un lieu plein de contradictions, figé entre banalité et exceptionnalisme, uniformisation et tradition. 
Waterloo © Harry Gruyaert / Magnum Photos

Il m’est ainsi devenu possible d’envisager de travailler sur la Belgique, car je n’y vivais plus. Il est difficile de travailler sur l‘endroit où l’on habite. On était en 1973 et je n’y travaillais qu’en noir et blanc. Tout me paraissait gris. Je suivais parfois le calendrier des innombrables fêtes locales, carnavals, processions et autres, très particuliers en Belgique et sujets à de spectaculaires débordements alcoolisés.
J’ai mis environ deux ans à y voir la couleur qui m’intéressait. Ce fut une révélation. Par ailleurs, j’ai commencé à voyager en photographiant au Maroc, en Inde, toujours en couleur. Mais il y avait la Belgique, avec ce rapport de refus et d’attirance en même temps.
À New York, en 1976, j’ai vu l’exposition «William Eggleston’s Guide» au MoMA, avec de superbes tirages «dye transfert», qui donnaient une grande sensualité à la couleur. La découverte de la photographie couleur américaine a été essentielle : j’ai ressenti une profonde affinité avec cette mouvance, qui m’a encouragé à continuer à photographier la Belgique en couleur.
Mes influences proviennent surtout du cinéma et de la peinture. Pour moi la photographie n’existe que lorsqu’elle a pris corps dans un tirage, qui doit être l’expression juste de ce que je recherche. Je passe, comme beaucoup, plus de temps à sélectionner mes images et à travailler mes tirages qu’à photographier.
En 2000, j’ai publié aux Éditions Delpire mon premier livre sur la Belgique : Made in Belgium, avec des poèmes originaux d’Hugo Claus. La Belgique est probablement le pays européen qui s’est le plus vite américanisé après la Deuxième Guerre mondiale, d’où la puissance de cette banalité, confrontée au surréalisme et à la force des traditions conservées malgré tout, alors que j’y travaillais avant le tournant du siècle. Aujourd’hui, c’est beaucoup moins flagrant, l’uniformisation gagne, avec une autre culture de la banalité, moins ancrée dans les traditions. Beau, laid, banalité du beau, beauté de la laideur. Ces contradictions sont aussi les miennes. 
Harry Gruyaert

Quartier de la gare du Midi, Bruxelles © Harry Gruyaert / Magnum Photos

Lire la suite

Les Sudre, une famille de photographes

Dans la famille Sudre, le "virus photographique" n'a épargné personne. Parents et enfants créent, depuis plus de quarante ans, une oeuvre singulière qui couvre l'ensemble des domaines photographiques, de l'enseignement de la photographie à l'art du tirage, en passant par les portraits, les natures mortes ou la photographie de paysage. Après l'exposition organisée au FIAP Jean Monnet dans le cadre du Mois de la Photo, les Sudre s'exposent à Lyon, à la Galerie Bibliothèque de la Part-Dieu
(c) Gaspard Félix Tournachon dit Nadar (1820-1910). Portrait de Charles Baudelaire. Tirage effectué par Claudine Sudre en 1978

Sur papier sensibilisé au chlorure d'argent tiré par noircissement direct et viré à l'or. (dit papier salé)
L'histoire commence en 1948 à Paris : Jean Pierre est photographe industriel et publicitaire, et Claudine réalise des tirages pour les grands noms de la photographie, dont Jean-Loup Sieff, Brassaï, Jean-Philippe Charbonnier. En 1968, ils créent le premier stage expérimental en photographie, une aventure qui durera vingt ans et qui leur permettra de former près de 2 000 étudiants. Parallèlement, Jean-Pierre réalise des séries personnelles de natures mortes ou abstraites, dans lesquelles il expérimente le dépôt de cristaux de sel bichromaté sur une plaque de verre.  
Lire la suite

Rencontre avec Alexis Pazoumian

Alexis Pazoumian découvre la photographie à 20 ans, lors d'un voyage en Jordanie, et devient très vite un passionné de l'image. Entre pureté documentaire et recherche esthétique, ses photographies reflètent le monde, tout en s'éloignant des clichés habituels. Rencontre avec un jeune talent très prometteur. 

Photographie.com : Vous avez commencé la photographie il y a quatre ans…
J'ai commencé la photo à l'âge de 20 ans en empruntant l'argentique de mon père lors d'un voyage en Jordanie. Tout de suite j'ai pris énormément de plaisir : la photo est un médium très simple pour exprimer notre ressenti sur ce qui nous entoure, et un moyen extraordinaire pour rencontrer des gens. 
J'ai continué à pratiquer l'argentique de façon très régulière. C'est parfait pour débuter, car on se doit de prendre son temps pour chaque photo et de faire les réglages soi-même ; vu que le nombre de prises est limité (et coûteux !), on est bien plus exigeant qu’avec un appareil photo numérique.
Travailler en argentique est un exercice parfait pour commencer, mais qui n'est pas forcément adapté à mes travaux de reportages : j’ai donc investi rapidement dans un appareil photo numérique, qui me permet de prendre 500 photos dans une journée ! Mais j’emporte toujours mon argentique avec moi lorsque je pars en voyage, et j’ai l’intention de m’y remettre plus sérieusement.
Lire la suite

Fernando Moleres. En attendant la liberté

Le photographe espagnol Fernando Moleres a remporté, le 10 décembre dernier, la Tim Hetherington Grant, pour son travail sur les mineurs incarcérés, intitulé Waiting for an opportunity. Créée en 2011 par World Press Photo et Human Rights Watch en l'honneur du photojournaliste et réalisateur Tim Hetherington (tué en Libye en 2011), la bourse vise à soutenir un projet photographique sur le thème des droits humains. Interview.

Photographie.com : Vous avez commencé ce travail en 2007, lorsque vous avez réalisé un premier photoreportage dans une prison de Sierra Leone. Qu'est ce qui vous a donné envie d'aborder ce sujet ?
L'idée m'est venue après avoir vu, dans le cadre du festival Visa pour l'image 2007, l'impressionnant reportage réalisé par Lizzie Sadin sur les mineurs incarcérés. J'ai été particulièrement touché par les conditions de vie épouvantables de ces jeunes mis derrière les barreaux partout en Afrique. Lorsque j'ai commencé à faire des recherches sur ce sujet tragique, j'ai découvert de nombreux reportages écrits racontant leur histoire, mais très peu d'images. D'où ma décision de réaliser un travail photographique qui puisse sensibiliser le public aux problèmes des jeunes prisonniers et briser le mur de silence qui les entoure.
Lire la suite

Didier Bizet. Empreinte transsibérienne

Entre le carnet de voyage et le portefolio, cet ouvrage nous emmène sur des terres entre l’Europe et l’Asie, sur les vastes étendues de la Sibérie. Les photographies de Didier Bizet, mises en regard de textes littéraires ou simplement informatifs, nous promènent de Moscou au centre de la Russie, de la Mongolie au nord de la Chine. L’ambiance, parfois grave et nostalgique, ne manque ni de poésie ni d’humour. Empreinte transsibérienne est le 4e ouvrage de la collection Empreinte de Critères éditions.

"Nous avons deux provodnisty qui se relaient, le jour, la nuit, le jour, l’une est une blonde boulotte assez rigolarde, l’autre une terrible gorgone qui porte un visage de plâtre encadré de frisottis blancs sur des épaules de catcheur sanglées dans l’uniforme des Jeliezny Dorogi Rossii, les chemins de fer de Russie. Jamais l’ombre d’un sourire sur l’enclume de sa face. Un travelo selon Dominique Fernandez, nous l’appelons la drag queen. Ne pas s’y frotter. Karimskaïa, Chilka, Tchernychevsk Zavod. 
J’aime les bruits des gares nocturnes. Des voix tombent des haut-parleurs, toujours des voix de femmes, retentissantes, semblant les voix de la nuit elle-même. Elles ne font pas des annonces comme chez nous, elles donnent des ordres, dialoguent entre elles, conversations de puissances invisibles."
Olivier Rolin (extraits)


Empreinte transsibérienne. Didier Bizet, éditions Critères. Préface de Géraldine Dunbar. 19,5x26 cm. 112 pages, souple avec rabats. 19,50 euros.
Lire la suite

La Bourse du Talent, un autre regard sur la photographie

Quatorze jeunes photographes et autant de regards sensibles sur le monde, dans un haut-lieu de la culture française : l'exposition de la Bourse du Talent, qui vient de s'installer pour la sixième fois à la Bibliothèque nationale de France, confirme encore cette année son statut d'événement majeur du monde de la photographie. 

Le vernissage de l'exposition, qui s'est tenu jeudi dernier, a attiré près de 500 photographes, journalistes, experts, institutionnels, dont Daniel Barroy (Chef de la mission de la photo au Ministère de la culture), Jean-Pierre Bourgeois (Directeur du Salon de la Photo), Frédérique Founès (Agence Signatures) ou le célèbre photo-journaliste Éric Bouvet. Selon le Président de la BnF Bruno Racine, également présent au vernissage, cette exposition annuelle témoigne des recherches des photographes émergents, et "de l'originalité de leurs points de vue. Qu’ils empruntent les chemins de leurs grands prédécesseurs, qu’ils inventent de nouveaux moyens d’interroger le médium, tous font œuvre, tous examinent l’état du monde. Le besoin de témoigner appelle de nouveaux moyens. Il leur inspire de forger un vocabulaire plastique personnel, lié ou non aux nouvelles techniques."
Fidèle à son engagement en faveur des nouvelles expressions photographiques, la Bourse du Talent 2012 se remarque par la diversité et l'originalité des points de vue proposés. Cette année, une large rétrospective est consacrée à Rémi Ochlik (tué en Syrie en février dernier), de sa première expérience en zone de conflit, en Haïti après la chute du président Jean-Bertrand Aristide en 2004, aux révolutions du Printemps arabe, en passant par les reportages réalisés en France. "La qualité de son regard et son intelligence des situations se montre à plein dans les images  présentées à la fois en hommage et en préface," écrit Bruno Racine dans le texte de présentation de l'exposition. "De ses écrits nous retiendrons la conscience du danger, la sensation de la peur et le souci de la surmonter, force caractéristique des grands reporters que furent Robert Capa et Gilles Caron."
Lire la suite

Trecerea ilegal - sur une photographie de Franck Boucher

éclatée sur les routes
expulsée
trecerea ilegal
tombé d’avion
tombé et mort
à cause d’un passage illégal
ville de passage
bain de sang, camp, ville torturée à l’acide,
ville d’hommes
ville de travailleurs émigrés traités...
ville d’immigrés exploités et traités comme une merde
ville de travailleurs émigrés sous payés, harcelés et injuriés
ville d’immigrés qualifiés sous exploités et traités comme des merdes
ville d’immigrés sous payés traités comme de la merde, comme une merde
traités comme de la merde
traités comme de la merde
— trecerea ilegal : en roumain se prononce "trechérea illégal" : passage illégal

P.-S.

Franck Boucher : Né en 1976 au Mans, il apprend seul la photographie en Polynésie Française entre 1996 et 2002. Devenu photographe professionnel en 2004, Franck BOUCHER se spécialise dans la prise de vue sur commande bien souvent à vocation illustrative.
Conjointement à ses activités professionnelles, il a animé bénévolement un atelier photo dans un lieu d’accueil de jour pour personne en grande précarité, dans lequel il va réaliser durant trois années « paysages d’exclus » - projet récompensé par sa nomination de « lauréat national défis jeune 2006 » décerné par le Ministère de la Jeunesse et des Sports..
Conjointement il a travaillé avec la cellule communication du COFAT commandée par le Général de corps d’armée Michel POULET en réalisant les couvertures photographiques des grands rendez-vous de l’Armée de Terre. Ce partenariat inédit mènera le COFAT à soutenir les actions photographiques caritatives du jeune photographe, en éditant en 2005 « le calendrier des S.D.F. » (illustré par les premiers portraits noir et blanc de « Paysage d’exclus ».) L’initiative surprend et les médias nationaux révéleront le travail photographique du jeune homme en émouvant la France avec « le petit permis d’exister ».
Franck Boucher clos actuellement “Paysage d’Exclus” avec la réalisation de 28 “Story-Bord-de-Vie” et proposera au-delà de l’édition de l’ ouvrage « permis d’exister », l’itinérante d’une exposition dans certaines grandes villes françaises et pourquoi pas européennes. ( Naples... )
Il espère rapidement rééditer l’ expérience de “Paysage d’Exclus” auprès d’une nouvelle population en mal d’estime de soi. afin d’utiliser le “Permis d’Exister” avec le concours d’un praticien psychologue pour démontrer scientifiquement l’étendue d’un résultat de mieux être de ces modèles exclus ordinairement de nos regards.
Story_bord_de_vie
Ce sont 28 Photos-graphies de 40X40 sur papier Fine Art au principe de la digigraphie. Elles sont la genèse d’un travail de fond sur ma manière d’exprimer ma sensibilité devant certains sujets de société banalisés par l’image traditionnelle.
Lire la suite

Voice of Africa - sur une photographie de Rocco Rorandelli

Il est huit heures, nous vous souhaitons une bonne journée avec Radio Soleil ! Tout de suite Aminata Traoré pour les informations !
« Bonjour. La vague de froid continue en Europe occidentale. Les voyageurs sont bloqués par milliers dans les différents aéroports européens. Même les trains ne circulent plus, paralysés par d’importantes chutes de neige. Du jamais vu depuis vingt ans. »
« Antoine ? » appela Adama.
Ruisselant de sueur, Antoine suspendit son marteau et se tourna vers l’enfant. Le soleil n’était pas encore au zénith mais son corps souffrait affreusement de la chaleur. Il avait marché cinq kilomètres pour aller travailler dans la carrière, le ventre vide. Arrivé depuis une heure, il avait déjà réduit en poussière des kilogrammes de granite pour en faire du ciment. Il passa la main sur son front, essayant en vain d’essuyer les gouttes salées qui lui entraient dans les yeux et glissaient sur ses lèvres desséchées.
« T’as déjà vu la neige ? demanda Adama, tenant un marteau plus grand que lui.

— Connais pas. C’est quoi ?

— C’est pour ça que je demandais. Mais si tu sais pas, tu sais pas, ou bien ! »
Le garçon se remit à travailler. Antoine grimaça, tentant en vain de se souvenir de ce mot, fouillant dans son esprit la signification de ce terme. Moussa s’approcha nonchalant avec son marteau sur son épaule. On l’appelait « le Gaulois » parce qu’il avait tenté sa chance en Europe, mais était revenu moins de deux ans plus tard, finement escorté. Par pudeur, on évitait de parler de ce retour humiliant, mais cela ne décourageait pas les autres neveux et petits cousins de tenter leur chance. Il y en avait toujours un pour croire qu’il allait mieux réussir que les autres.
« Antoine, on dit quoi ? lança Moussa.

— On est là , répondit l’adolescent.

— Toi, vraiment. » Moussa fit claquer sa langue avant de reprendre. « Tu sais pas c’est quoi la neige ? T’as appris quoi à l’école ?

— Moi, je travaille. J’ai pas le temps d’aller à l’école. »
Irrité, Antoine s’éloigna. L’adolescent avait usé son enfance dans la carrière, et voilà qu’à présent, il faisait de même avec sa jeunesse pour à peine trois cents francs par jour. Ses mains étaient abîmées, ses ongles cassés, ses doigts prenaient automatiquement la forme du manche du marteau même au repos. Il broyait du granite toute la journée, tous les jours. Pourtant, quel crime avait-il commis pour être condamné de la sorte ? Et tous ces enfants autour de lui, faisant exactement les mêmes gestes que lui, qu’avaient-ils fait ? Toute la journée, tous les jours, ils cassaient des pierres à force de bras et de sueur, usant leurs dos et leurs articulations sans même pouvoir posséder un toit qui ne volerait pas au premier coup de vent ou ne s’effondrerait aux premières pluies. Ils étaient vieux et n’avaient pas encore quinze ans. Avec ça, Moussa croyait vraiment qu’Antoine et les autres étaient allés à l’école ? Lui-même ne devait connaître l’existence de cette neige que parce qu’il avait vécu en France !
« En tout cas , répondit Moussa. Adama, je vais t’expliquer c’est quoi la neige. »
Le garçon traîna son marteau derrière lui et s’approcha de son aîné.
« Là-bas, en Europe, il y a plusieurs saisons. C’est pas comme ici, hein ? Ici, il fait chaud ou alors il pleut. Non, là-bas loin, il y a quatre saisons, expliqua-t-il en montrant quatre doigts. Y a le printemps, il fait frais, et beau, et tu tombes malade à cause du pollen. L’été, il fait chaud, mais pas comme ici. Après, y a l’automne, il fait un peu froid et il pleut. Mais il faut que tu mettes plein de vestes. C’est comme quand tu vas dans le bureau et la clim’ est au maximum et que tu tombes malade rien qu’en ouvrant la porte. Après, y a l’hiver. Là, mon frère, il fait froid, dè ! Quand tu plonges ta main dans les glaçons, t’as mal, non ? Alors imagine seulement le corps tout entier dans les glaçons. »
Antoine ne prêtait pas attention aux histoires de Moussa. A la radio, on faisait un hommage à John Lennon pour le trentième anniversaire de sa mort. Antoine ne se souvenait plus de ce nom-là, mais il avait déjà entendu cette musique : un de ses voisins, Prince, avait construit une guitare de bric et de broc dont le son était clairement désaccordé. La nuit tombée, il chantait souvent ce qu’il appelait « des classiques ». Classiques de quoi ? Antoine n’en avait aucune idée, mais il aimait bien quand même. Surtout lorsque Prince traduisait.
Imagine all the people, sharing all the world…
Non, il ne parvenait pas à imaginer un monde fraternel où les possessions seraient partagées, où il n’y aurait ni faim ni avarice. Quel monde était-ce ? Où se trouvait-il ? Serait-ce en Europe, comme le croyait tous les gens de la carrière ? Il avait tout juste de quoi se payer son taudis et acheter de la farine de mil. Il n’avait pas de quoi s’offrir un voyage vers cet El Dorado.
« Antoine ! appela une nouvelle fois Adama. Ça te dit d’aller voir la neige ?

— Toi, là. Et tu vas voir la neige où ?

— Là-bas en Europe ! »
Antoine se redressa et fixa Moussa.
« Tu es en train de donner des mauvaises idées au petit.

— Tout le monde a le droit de rêver, répliqua Moussa.

— Toi aussi t’as rêvé. T’as fait un pars-revenir qui t’a coûté un million, pour quoi faire ? T’es allé là-bas, on t’a pas souhaité bonne arrivée, et t’es revenu bien accompagné. Ou bien ? »
La mâchoire de Moussa se crispa et il ne répondit pas.
« Adama, on a pas le droit de rêver de la neige, d’imaginer un autre monde, continua Antoine. Oublie tout ça, c’est pas pour nous. »
Voici Zangalewa des Golden Sounds, tout droit venue de 1986 et remise au goût du jour avec Shakira et les Sud-Africains Freshlyground. Bonne journée avec Radio Soleil !
Zaminamina eh eh, waka waka eh, eh…
Le travail d’Antoine était de casser du granite et il en casserait sûrement jusqu’à la fin de ses jours.
« Moi, je rêve pas, murmura-t-il dans l’effort, plus pour lui-même que pour les autres. Ça fait mal de rêver. »

P.-S.

Photographie : © Rocco Rorandelli, TerraProject & PictureTank

Lire la suite

Aimer Aimé Césaire

Aimer est nécessaire...
Aimer Aimé Césaire...
Quatre ans s’écouleront après notre rencontre avant que tu ne meures... Je n’ai jamais voulu montrer ces photographies...
Quand nous les avons faites, ensemble, avec ton visage tellement vivant, avec ton âme toujours si grande et chaleureuse et accueillante, j’ai décidé que jamais elles ne seraient des images de charognard... Que jamais elles ne seraient là pour exprimer ton deuil, ou plutôt notre deuil, de toi, aimé...
Quelle belle énergie en toi demeurait à ce grand âge ! Allez faire de ces photographies des images distribuées et vendues en agence, quand peut-être soudain tu allais mourir ? Certainement pas. Depuis bientôt six ans, je regarde donc seul ces photographies et je voulais qu’elles viennent un jour comme un soupçon de résurrection plutôt que de venir accompagner ta mort...
Alors enfin ce soir, un peu par hasard, repassant par toi, repassant par nous en cette ultime rencontre, je suis allé regarder sur la Toile, la vaste toile de la vie et de la mort, l’image qu’on y trouvait de toi, c’est-à-dire Google Aimé Césaire images...
Quelle tristesse ! Alors que tu nous avais offert un visage tellement intense et vivant et brave !
Alors ce soir ce n’est pas l’anniversaire de ta naissance, ce n’est pas non plus le jour où commémorer le souvenir de ton départ vers l’ombre qui n’en finit pas, c’était le jour de rien, c’est juste notre nuit des retrouvailles pour diffuser enfin ces images où tu m’as permis de dire tant et tant... Merci... Je jette un je t’aime... Parce que quoi d’autre ? Je n’ai même pas de rhum, juste de la vodka, et du rire et des larmes...
Offrons ensemble la poésie de ton regard pétillant d’une éternelle étreinte à la plus belle femme du monde qui encore cette nuit fait silence... Elle se reconnaîtra comme je l’ai reconnue, et comme tu aurais su lui sourire...
Étoile fuyante...
Lire la suite

La simplicité

Même si je ne comprends pas grand chose à la photographie, j’ai toujours pensé que Ghirri était un génie. Je le lui ai dit une fois, en fait, que je pensais qu’il était un génie. Il s’est un peu caché et il a dit « allons donc », mais on voyait qu’il y croyait et qu’il était content, il a fini par dire : « Mais bien des gens ne me comprennent pas. » À cette époque l’idée que quelqu’un ne le comprenne pas me semblait impossible, et quoi qu’il en soit je lui ai dit vraiment ainsi : « Tu es le seul génie que je connaisse. » J’ai commencé à penser qu’il était un génie quand j’ai vu son livre Paysage italien, celui des éditions Electa. Jusqu’alors j’avais pensé que ses photos étaient très belles ; mais en les voyant toutes ensemble dans ce livre, en voyant le montage qu’il avait fait dans ce livre avec sa femme Paola, j’ai compris que derrière ses photos il y avait une très forte, omniprésente, éclatante conception du monde, et que tout ce qu’il faisait répondait à cette conception, qu’il faisait avancer avec une lucidité et avec une cohérence, qui me firent justement venir à l’esprit l’idée du génie, c’est à dire de quelqu’un qui ne se contente pas d’avoir de grandes capacités expressives ou de faire des choses remarquables dans le domaine artistique, mais qui a une idée du monde, qui a une idée radicale et révolutionnaire du monde, et la développe avec une extrême facilité. Et cette conception du monde, à moi qui ne comprends pas grand chose à la photographie, m’a toujours semblé être celle-ci : Ghirri a continuellement frôlé la banalité, il a appliqué la section dorée dans ses photographies, il a toujours risqué que ses photos soient prises pour des cartes postales, et il l’a fait, justement, pour nous montrer ce qu’il y a derrière la carte postale et que la carte postale ne nous montre plus. Je ne sais comment mieux exprimer cette chose : c’est comme si Luigi Ghirri avait voulu nous montrer, toujours, ou au moins disons-nous, après la phase expérimentale de sa photographie, dans l’âge mûr, l’âge d’or de son œuvre, c’est comme s’il avait voulu nous montrer ce que la réalité aurait dû être. Je ne sais s’il y a une idée platonique derrière cela, mais Ghirri m’a toujours fait penser à un homme du Quattrocento, pour ce sentiment d’harmonie, le caractère classique dont il a baigné son œuvre entière, montrant des choses qui ne sont pas classiques, et les faisant devenir classiques : mais au fond, ce caractère classique n’est pas autre chose qu’une manière de voir les choses ; en connaissant un peu mieux sa photographie, l’équilibre qui existe dans ses clichés m’a impressionné et continue de le faire, cette idée du monde qui se fait sans effort, le nombre trois qui est toujours présent dans ses photos, le nombre parfait, le nombre de la section dorée, toutes ses photos peuvent se diviser en trois parties, ou en deux parties, elles ont toujours un centre, ainsi il y a ces nombres magiques : un, deux et trois ; elles sont en apparence statiques et immobiles et composées comme le sont les statues de Phidias et de Praxitèle et les madones de Botticelli et comme l’est tout l’art classique. Ainsi je me suis toujours représenté Ghirri comme un grand alchimiste, comme quelqu’un, au fond, qui montrait le monde comme il aurait dû et comme il aurait pu être, mais c’est là aussi, un peu, l’idée de l’idéalisation classique de la réalité. Qu’ensuite, derrière sa façon de montrer le monde comme il aurait dû être, derrière cette manière d’être classique, il y ait une très forte polémique, une très forte position politique, une protestation très forte contre ce qu’est le monde et ce que nous sommes en train de le faire devenir, c’est là, selon moi, la source de son caractère classique, de ce caractère classique si profondément « italien ». Tel est, je pense, ce qu’il y a derrière cette apparente, stupéfiante « simplicité », cette idée d’un monde simple, qui se crée seul, et qui n’a aucune, aucune possibilité d’être différent.
Carlo Bordini, juillet 1992.
Traduction Olivier Favier.

P.-S.

Texte italien publié dans Luigi Ghirri, Vista con camera, Motta, Milan, 1992, a cura di Paola Ghirri ed Ennery Taramelli. Texte français publié dans Poussière / Polvere suivi de La simplicité, collection Bilingues, traduction et présentation d’Olivier Favier, Alidades, Évian, 2008.
Lien vers la maison d’édition : http://assoc.pagespro-orange.fr/alidades.librairie/accueil.html

Lire la suite

Jean-Michel Delage / Symphonie

Roule, roule, n’arrête jamais ta course, chaque tour de roue t’emporte loin de toi.
Ceci n’est pas une automobile. Les formes sous la houppelande sont parlantes mais sans les roues qui dépassent un brin, comment serait-on sûr ? Est-ce que ça roule une voiture si bien déguisée ? Justement, la voiture ne roule pas, elle repose. Son maître, comme on dit d’un propriétaire de chien, est parti au loin, il a franchi des routes, des montagnes, il a connu des pays, des ambiances, des guerres. Pendant ce temps la voiture reposait. De temps à autre il revenait lui dire bonjour, lui flatter l’aile, peut-être même l’écouter respirer, stéthoscope en main. Ou encore la voiture serait la seule richesse du clan, aussi aurait-elle droit à tous les égards. L’emmener sur les routes, pas question, ou juste pour un petit tour de piste. L’essentiel est de la protéger des cacas d’oiseaux et autres souillures, peut-être même des regards indiscrets. Pudeur oblige, seuls les initiés auront le droit de voir l’objet, de savoir ce qu’elle a dans le ventre.
Dès la première photo, voiture habillée de bleu contre un mur peint en rose vif, on remarque l’ironie de la composition. Ici les couleurs claquent, provocantes, annulant toute référence, sinon les quelques lignes en arabe sur le mur. Sur la photo suivante, une tenture répercute dans son balancement le drapé de la housse qui habille la voiture. Etrange, cette voiture installée sur un sol caillouteux, dans un lieu sans nom et sans âme, avec pour seule trace de vie ladite tenture sur piquets de bois, ballotée par le vent, alors que la housse bleue qui recouvre la voiture est toute pimpante, avec ses motifs rouges.
Rayures en écho, teintes contrastées, la voiture occupe chaque fois l’espace et l’avale. Signe des temps ? Plus le décor est pauvre, maisons croulantes, murs délabrés, plus la voiture sous sa bâche de couleur semble défier le sort, jusqu’à ce modèle, sans queue ni tête, et même sans roues apparentes, emmailloté dans une sorte de patchwork aux couleurs vives, et posé là, en pleine ville comme un animal de foire. A chacun sa bétaillère !
J’apprends qu’il s’agit d’un véritable reportage en Egypte. Les voitures ainsi bâchées existent bel et bien dans leur contexte réel. Nul besoin de fiction, nous sommes dans l’art brut. Le récit de chaque photo en est d’autant plus fort.
Marie-Louise Audiberti

P.-S.

La série les « Egyptiennes » est le premier travail documentaire à dimension plastique de Jean-Michel Delage. Elle présente des voitures recouvertes de bâches. Ces bâches découpées par leurs propriétaires dans des morceaux de tissus aux couleurs et aux motifs différents ont pour rôle de protéger les voitures de la poussière et des éraflures. Ainsi parées, les voitures ne disent plus rien du niveau social de leurs propriétaires et deviennent des objets ludiques, comme relevant d’un art urbain spontané.
Né en 1964, Jean-Michel Delage vit en région parisienne. Journaliste, photographe et réalisateur, il travaille pour la presse écrite en France et à l’étranger, ainsi que pour la télévision. Sa pratique évolue au fil des sujets qu’il aborde (la santé, l’immigration, les gitans, le tourisme), témoignant de son ouverture et de sa curiosité. Après avoir travaillé l’information sur des médiums différents, il expérimente aujourd’hui la photographie dans une direction plus artistique que journalistique, lui conservant toutefois une dimension documentaire. La série présentée est le premier travail effectué allant dans cette nouvelle direction. Depuis, il s’est engagé dans deux projets : avec ses « Portraits dyonisiens », il photographie la population de Saint-Denis dans son studio ambulant, il travaille parallèlement avec des slamers.


Lire la suite

Guillaume Plisson / Lightgraff

Discours :
Ce texte pourrait commencer par un essai de définition : « Qu’est-ce qu’un graffiti ? », ce qui permettrait ainsi de justifier son existence en tant que forme d’art à part entière. Ensuite, nous aurions montré en quoi le graffiti participe d’un mouvement culturel qui est apparu en France, il y a quelque 25 ans... Et nous aurions ajouté que loin d’être encore le mode de communication d’une minorité qui cherche à s’approprier un territoire, le graffiti est une expression de soi dans la rue, et accessible à tous. Un discours, de l’art, des mots, des noms... Et puis finalement, ce texte peut commencer autrement. Nous devrions cesser un moment de chercher un sens à tout et de tout justifier. Bien sûr, le graffiti a un sens, il crée du sens, il est l’expression de quelque chose. Mais ce quelque chose, pourquoi le nommer ? Nommer, n’est-ce pas délimiter une essence ? Nommer, c’est accorder l’existence, mais c’est aussi enfermer et c’est imposer un sens. Pourquoi toujours ce besoin de discourir-pour-conceptualiser-pour-comprendre ? Au gré de ces divagations théoriques, je pense finalement que ce texte commencera autrement. Après tout, je ne veux pas ici tenter un énième discours sur l’art et le graffiti, je ne veux pas ici argumenter pour faire voir quelque chose. Pour une fois, j’aimerais réussir à abandonner cette part de rationnel qui prend toujours le dessus en moi et finalement oser faire confiance à mon regard...
Lire la suite

La fierté: sur une photographie de Luca Ferrari

Grand-mère,
Ils sont tous devenus fous. Peut-être est-ce moi la folle puisque je n’ai rien compris. Je ne saisis pas la réelle signification du mot « fierté »... La définition du dictionnaire, qui parle d’un « sentiment élevé de sa propre valeur », est obsolète. Aujourd’hui, « fierté » est un mot banalisé, un mot qu’on utilise pour montrer qu’on n’a pas honte. « Je suis fier d’être noir », « je suis fier d’être européen », « je suis fier d’être hétérosexuel »... Scander sa fierté est devenu une arme parmi tant d’autres contre les obstacles, contre les préjugés. Vous ne m’aimez pas parce que je suis comme ça, mais tenez-vous bien car je suis fier ! Ça ne veut rien dire, grand-mère ! Explique-moi comme si j’étais un enfant qui ne comprend rien... fais-moi un dessin.
Lire la suite

Jean-Christophe Dupuy / Ma Bibliothèque idéale

 
Dans ma Bibliothèque idéale, il y aurait le récit de la naissance de Gaïa, une autobiographie de Dracula, et le long poème épique Arden Day. Il y aurait un livre de jeux de lumière, un livre de bricolage spécial cabanes. Il y aurait de gros canapés de cuir, où l’on pourrait s’affaler et s’endormir, et des fauteuils de velours plus doux et plus droits, pour se concentrer. Il y aurait aussi quelques coussins de toutes les couleurs, pour se mettre en tailleur. Un magazine consacré à l’éternité, et le livre d’images de chacune de nos vies, la Sociologie de l’Ermite, une sorte d’essai sur la notion de lisière, et un Traité de l’Acédie. On pourrait y lire une bande-dessinée de Nos plus belles années, le numéro 10 de Spectre, et La liberté est une couleur. Il y aurait des tables et des chaises et des stylos et du papier à carreaux. Il y aurait des ordinateurs en réseau. Il y aurait la Revue de Tout le Monde, le Dictionnaire des Signes en édition limitée, et la Cuisine des Concepts. Il y aurait un frigo, des fruits et des gâteaux, du café, du chocolat et des sodas. On pourrait apprendre comment survivre seul dans la nature, comment mentir à un psychologue, et comment monter une action. Il y aurait le Journal des fous et de la foutaise, le Bestiaire des poètes, un Essai sur la naissance des intellectuels, la Philosophie de Derrick et le Roman du loup. On pourrait trouver les récits d’une même journée dans le monde entier. Un commentaire des Pages Jaunes, un résumé de l’encyclopédie Universalis, le manuel du Paresseux, le guide du Paris de la littérature, les Œuvres de la Golden Dawn. Seuls les textos seraient autorisés. On pourrait consulter les Trucs et astuces de l’administration, lire l’Invitation au partage, la Poésie de la Voiture, un manga du Combat avec l’Ange, et une Grammaire de la langue des chats. Les Fragments de l’Insensé. L’encyclopédie du Non-dit, le Livre des Pattes de mouches, un Savoir-vivre dans la Rue, un exemplaire de Mille excuses, l’Annuaire des Prédicateurs et le Répertoire international des films documentaires.
Lire la suite

jeudi 20 décembre 2012

CONDITIONS de Participation PhotSoc pour 2014


Vous souhaitez proposer votre candidature pour exposer lors de la prochaine édition du Festival International de la Photographie Sociale, PhotSoc 2014 ?
Vous pouvez nous adresser vos dossiers dès maintenant.

Différents comités de sélection se réuniront dans le courant de l'année 2013. Il n'y a pas de date limite d'envoi. Notez cependant que, quand le nombre limite d'auteurs pouvant être exposés sera atteint, les inscriptions seront closes.
Lire la suite

Boris Joseph / Poudroiement

— Poudroiement, poudroiement du temps à travers les kalpas
Lire la suite

Joakim Eneroth

Les premières images de la mort sont semblables à de vieilles photographies jaunies. Des taches un peu graisseuses encombrent la vision et masquent la carte aux entournures. Une cabine téléphonique laisse tourner le message du répondeur : Je le déclare, vous êtes des dieux, vous vivrez comme des princes ; pourtant vous mourrez comme des porcs, je vous shooterais comme des chiens. C’est à vomir de mauvais goût ; leur bric-à-brac est d’un rococo déplacé et il fait froid. Les sempiternelles portes du rêve, ivoire beige et corne bleue, joignent leurs routes au bout qu’un quart d’heure. Dans une brocante du passage, négligemment déposés dans une corbeille à fruits, de vieux messieurs examinent des divergences de moustaches. Un perroquet répète ses noms et adresse à tue-tête. Le marchand des quatre saisons fait crisser les archets voisins. Les talons d’une midinette résonnent comme la montre « en suspens » du jugement.
C’est maintenant que le petit chevalier se relève. Il a encore son heaume aux rivets spiralés et son écu armorié aux photons qui frétillent. Un clavecin le remonte comme un ami. Quelques phrases lui reviennent, gravées dans la poterie romaine étrusque de son plus jeune âge : « J’ai vu l’avenir » ; « Je ne suis pas dans l’amour » ; « L’humanité est un territoire de chasse »...
Lire la suite